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03/05/2009

à propos d'amour

Avec l'autorisation de son auteur, Susan, infirmière écossaise bénévole à la crèche où Alexandre a passé ses deux premières années, je traduis ici l'article qu'elle a publié au lendemain de la Saint Valentin en février dernier sur son blog.

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Les bénévoles de GLA, romantiques et cyniques, ont fêté hier la Saint Valentin. Il y avait à manger, un film et des jeux. La plupart des participants festoyaient toujours après minuit.

Les Haïtiens font peu de cas des fêtes commerciales et je ne suis pas surprise que le 14 février ne soit pas une date significative de leurs calendriers. Ce qui me surprend pourtant, à la lumière de plusieurs conversations que j’ai eues avec les infirmières et les nounous depuis, c’est la foi qu’ils ont en l’amour romantique.

***


”Miss Susan...” le ton de Magalie indique qu’elle désire que je l’aide. Je la regarde. "..Avez-vous un boyfriend ?” me demande-t-elle. "Quoi ?" La réponse était assez facile (Je n’ai pas de boyfriend) mais la question m’a prise au dépourvu. Magalie sourit. “Il vous en faut un. Vous ne pouvez pas vivre sans. » 
"Pourquoi dites-vous cela ?" ”Ma chère, vous êtes trop vieille pour ne pas avoir de compagnon, "répliqua-t-elle d’un ton joyeusement autoritaire. "Je vais commencer à chercher un  boyfriend pour vous. "”Magalie, il ne vous reste pas beaucoup de temps," plaisantai-je en retour, "Je pars bientôt."  "Quand partes-vous ?"
”Le 26 février” ”Oh…”  Magalie resta pensive un moment.”.....”Dans ce cas je prierai pour vous”.

***

 

Je restai bouche bée. Un bébé dont je suis très proche, un très beau garçon de 16 mois, a pincé le derrière de Vivianne, une Haïtienne de 20 ans employée par l’orphelinat.
”Infidèle ! » déclarai-je, « Manifestement tu courres après toutes les filles, pas seulement après moi ! » Cela provoqua le fou rire de mon petit boyfriend et de toutes les nounous. ”Mais Susan,” commença Marie, "tous les garçons haïtiens sont comme ça !"
"Infidèles ?"
”Oui” dit-elle. “Ils peuvent avoir une femme, mais ils auront plein de maîtresses aussi. Et des enfants avec leur femme et avec leurs maîtresses."  Rose souriait mais en même temps était très sérieuse. Je fronçai les sourcils.
“Ce n’est pas bien.”

C’était un de ces moments où l’on devine un soupcon de tristesse dans la voix de quelqu’un. On peut lire son histoire dans ses yeux, et on ressent, juste un instant, le poids d’un fardeau insupportable.

”Non, ce n’est pas bien,” acquiesca quelqu’un. “Avez-vous des hommes comme ça en Ecosse ? »
”Oui, nous avons quelques hommes comme ça.””Eh bien, en Haïti, nous en avons plein.” observa Rose. ”Et si les hommes ont tous des enfants avec différentes femmes, ils ne peuvent pas s’occuper de tous. »
”Exactement !” s’exclama Rose. “Les hommes viennent et s’en vont”. Je ne demandai pas pourquoi les femmes haïtiennes ne se dressent pas contre ça. Je pense que je le sais – avant qu’il n’y ait des enfants, il y a une attention masculine, et partout l’attention masculine flatte les femmes. Et ensuite, quand le mari volage ou le boyfriend revient vers vous avec de l’argent pour nourrir vos enfants affamés, probablement que vous ne posez plus de question..

Une des nounous les plus âgées était tranquillement assise sur une chaise. Elle avait les traits tirés et me regardait avec une expression proche du ressentiment.
“Vous n’aimez pas notre conversation ?”

”Non,” répondit-elle, et son visage s’adoucit, “mais c’est parce que ce que vous dites est vrai. Tous,” dit-elle, indiquant les bébés dans la pièce, et par terre, "ont été concernés par l’infidélité. Ils sont ici parce que leurs mères ne peuvent subvenir à leurs besoins." "Et” ajouta-t-elle, “beaucoup d’entre nous sommes ici [travaillant à l’orphelinat] parce que nos enfants ont besoin de manger, et que leurs pères ne s’occupent pas d'eux." Elle soupira, l’air résigné, mais déterminé.e “Nous n’abandonnerions pas nos bébés, s’il y avait une autre solution.”

***

Pendant que les femmes parlaient, j’ai eu le sentiment qu’elles me prenaient à témoin. C’est comme si, de temps en temps, elles avaient besoin d’exprimer leurs difficultés, et qu’ainsi le reste du temps elles peuvent mieux les endurer. Seigneur, j’ai tant à apprendre et si peu de temps pour le faire.


Malgré ce qu’elles m’ont dit sur la façon dont les relations hommes-femmes fonctionnent, je connais au moins deux femmes ici qui priaient pour que je trouve "ma moitié." Je connais aussi deux jeunes Haïtiennes qui débutent une nouvelle relation amoureuse. Elles sont en plein dans l’excitation et la nouveauté et leurs amies et collègues, même les plus âgées, se réjouissent avec elles.


Quant à moi je remercie Dieu pour tous ces petits ici qui vont aller dans de merveilleuses familles, et vont apprendre à aimer par l’exemple de leurs parents. Je prie pour que certains de ces petits garçons retournent dans ce pays et, à leur tour, montrent l’exemple à la nouvelle génération.


Mais surtout, je prie pour que les enfants d’Haïti, ceux qui restent et ceux qui s’en vont, se souviennent toujours et soient inspirés par les sacrifices que leur famille de naissance ont fait pour eux, et leur labeur et leur phénoménale endurance. Si leur vie a été touchée par la pauvreté et l’infidélité, ils sont tous déjà sous la marque d’un immense amour.

 

16:43 Publié dans Haïti | Lien permanent | Commentaires (4)

Commentaires

... que de vérités dans ces témoignages... que de souffrances aussi pour les femmes haïtiennes... même s'"ils" ne sont pas tous comme ça !

Marie-Pierre, 6 ans en Haïti...

Écrit par : marip | 03/05/2009

je n'avais pas pris le temps de traduire ce texte de Susan. Où l'humour permet d'aborder de graves réalités...

Merci.
Géraldine

Écrit par : gg | 03/05/2009

bien sûr c'est la réalité, et puis il y a aussi des hommes comme le père de Lilou, qui s'est occupé d'elle pendant presque 7 mois à après la mort de sa femme, seul a priori.
7 mois c'est long, il n'a pas renoncé tout de suite ou facilement, en tout cas ça lui tenait à coeur.
il a fait de son mieux, a été obligé de la confier à Dixie, parce que avec ses soins elle allait de plus en plus mal de jour en jour, à 9 mois elle avait le poids et la taille d'un nourrisson d'un mois ;-)
Alors peut être que j'ai lu leur histoire au travers de ma mentalité de Française, mais je crois quand même que Lilou a eu un père aimant et sacrément responsable ! Il avait 25 ans et c'était son premier enfant.
bises
bibi

Écrit par : eveno | 03/05/2009

C'est un très beau texte, merci de le partager Cécile. Cette situation est sans doute répandue dans beaucoup de pays, et j'ai apprécié le parallèle entre les jeunes filles, les nourrices plus âgées, les enfants, tous "victimes" des infidélités ou, disons, des doubles, triples, quadruples ou quintuples vies des hommes. Que les temps changent, pas forcément en changeant les hommes, mais en donnant à leurs femmes de quoi gagner leur indépendance.
A bientôt

Écrit par : Maya | 03/05/2009

Les commentaires sont fermés.