Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/02/2009

"I run", ou un oeil dans la ville (Port-au-Prince)

Avec l'accord de son auteur, je traduis ici un post paru le 10 février ici.

C'est l'histoire d'une femme blanche qui fait son jogging dans Port-au-Prince. Ca peut paraître incongru, mais cette femme devient L'OEIL sensible sur cette ville et sa population. Je la remercie encore pour son beau texte et pour son travail et sa présence là-bas. (pour en savoir plus sur Tara Livesay, cliquez ici)

 

 

 

7 heures du matin.
Je suis dehors et je cours.

Le soleil est déjà haut dans le ciel. Les rues sont bondées. Chacun semble vaquer avec un but précis. Partout où je regarde, une foule de gens essaye de récupérer quelques gourdes. On vend des bananes, des oeufs, de grosses bananes plantains frites. On négocie les prix, on marchande, on fait son chemin.

Une femme enceinte qui semble sur le point d'accoucher charge un panier plein de mangues sur sa tête et se presse vers un ami qui l'appelle. L'air est lourd avec le diesel des routes surchargées de trafic. Un nuage de fumée d'ordures qui brûlent s'étend devant moi. La poussière vole à chaque passage de voiture. Nous respirons tous là-dedans. Je cours.

Les pieds prennent difficilement appui parmi les cailloux et les ordures. Des chèvres sont suspendues par les pattes à des tap-taps que des gens assaillent pour payer leur course au chauffeur. Juste au-dessus de nos têtes, le bourdonnement assourdissant d'un hélicoptère des Nations Unies d'où des soldats scrutent le chaos de la ville. Le bruit est insupportable, il semble amplifié par les maisons en béton sur lesquelles il rebondit.


Armes automatiques chargées et prêtes à servir dans des camions blancs pleins de soldats Brésiliens harrassés. Une petite fille portant un bidon de 5 gallons (presque 20 litres) d'eau sur la tête marche seule, ses pieds soulèvent des tourbillons de poussière, elle semble elle-même ne pas avoir bu depuis des jours. D'énormes tas d'ordures puantes débordent sur la chaussée. Des ouvriers en T-shirts jaunes les ramassent. Ils ne sont pas près d'avoir fini. Deux hommes se disputent et commencent à s'empoigner, tandis que des petits effrayés les regardent de derrière les jupes de leur mère.

Devant l'Ambassade géante, les gens se bousculent et jouent des coudes pour raconter leur histoire aux gardes et tenter de voir un employé susceptible de leur fournir un visa pour un autre pays. Avec stratégie, voitures et camions accélèrent et ralentissent dans une bataille pour une place de parking garantissant le meilleur spectacle.  Une femme est en pleurs, sa demande pour aller voir son père malade lui a été refusée.

Quelques 800 m plus bas, des camions pleins de gens et d'animaux sont bloqués et klaxonnent impatiemment en guettant la possiblité de tourner - un accident bloque la route. La police n'arrive pas; la colère et les blessures se débrouilleront toutes seules aujourd'hui. Un éclair argenté appraît au-dessus de nous alors qu'un avion d'American Airlines s'apprête à atterrir dans un bruit assoudissant. Personne ne s'arrête pour regarder dans le ciel. Tous continuent de vendre, pousser, bouger, survivre.


Au loin, aussi loin que le regard porte, c'est la même chose. Je cours.

Dans mon oreille droite, j'ai mon mp3 player le plus fort possible. Derek Webb me rappelle This Too Shall Be Made Right. La combinaison de la musique dans mon oreille droite et de ce que je capte avec mon oreille gauche et des dizaines de situations que je vois autour ne sont pas faciles à concilier et à accepter. Dieu voit-il la même chose aussi ? Une vague de quelque chose comme du chagrin m'envahit. Je suis bombardée par une multitude de pensées. Je cours.

Je me découvre pleine d'admiration pour l'endurance des gens qui m'entourent, pour leur capacité à faire tant avec si peu. Je me demande comment ils font. Je trouve ça injuste, et même dégoûtant. Je me sens en colère. Je me sens faible. En même temps que j'admire leur force, je ressens de la pitié. Ils ne veulent probablement pas de ma pitié. Je me demande pourquoi ce n'est pas plus facile pour eux. Les larmes ruissellent sur mon visage et je cours, je cours, je cours. Et j'essaye de trouver le sens de tout ça.

Derek Webb - This Too Shall Be Made Right -

people love you the most for the things you hate
and hate you for loving the things that you cannot keep straight
people judge you on a curve
and tell you you’re getting what you deserve
this too shall be made right

children cannot learn when children cannot eat
stack them like lumber when children cannot sleep
children dream of wishing wells
whose waters quench all the fires of Hell
this too shall be made right

the earth and the sky and the sea are all holding their breath
wars and abuses have nature groaning with death
we say we’re just trying to stay alive
but it looks so much more like a way to die
this too shall be made right

there’s a time for peace and there is a time for war
a time to forgive and a time to settle the score
a time for babies to lose their lives
a time for hunger and genocide
this too shall be made right

I don’t know the suffering of people outside my front door
I join the oppressors of those who i choose to ignore
I’m trading comfort for human life
and that’s not just murder it’s suicide
this too shall be made right

.............................

La chanson dans mon oerille droite change. Je garde le rythme alors que j'approche de la maison et comme je prie une paix étrange m'envahit  - Je suis en train d'écouter Bebo Norman chantant :
Mercy, weep over me Let Your tears wash me clean - Majesty, be merciful with me ... mercy mercy mercy.
Et, pendant que je cours, je prie pour un peu de miséricorde.

21:23 Publié dans Haïti | Lien permanent | Commentaires (5)

Commentaires

très beau travail de traduction ... cela ne m'étonne pas de toi. La chanson de Bebo Norman est aussi très belle.
Lola

Écrit par : Lola | 13/02/2009

La chanson de Bebo Norman sous YouTube
http://www.youtube.com/watch?v=CaJelws8MgA
Mercy ...

Écrit par : Lola | 13/02/2009

C'est très très émouvant et j'ai bien reconnu ce que j'ai vu de PAP lors de mes séjours en juillet 2006 et mars 2007. J'espérais que ce soit différent en 2009..
Merci pour ce beau texte.
Virginie

Écrit par : Virginie du 41 | 13/02/2009

Superbe!
Merci pour ce très beau texte
Sophie

Écrit par : Sophie | 13/02/2009

Tout simplement un retour en arrière pour moi, mes trois voyages me reviennent en mémoire et tout comme Virginie j'avais l'espoir que 2009 puisse être meilleur...
Merci Cécile pour ce beau partage et le boulot réalisé.
Aurèle

Écrit par : Aurèle | 14/02/2009

Les commentaires sont fermés.